RDC: Le M23 semble consolider sa mainmise sur Goma et se dirige vers le sud
par Yassin Kombi et David Lewis
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GOMA, République démocratique du Congo (Reuters) – Les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, se dirigeaient mercredi vers Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu en République démocratique du Congo (RDC), apparemment dans l’intention d’étendre leur zone de contrôle dans l’est du pays après s’être emparés dimanche de la ville de Goma.
Selon cinq sources diplomatiques et sécuritaires, dont l’une est en contact direct avec les rebelles, le M23 avance vers le sud depuis la ville de Minova, le long de la rive occidentale du lac Kivu.
Si le M23 parvient à progresser vers le sud, il contrôlera un territoire que les rébellions précédentes n’ont pas réussi à occuper depuis la fin de la Deuxième guerre du Congo il y a 20 ans.
Pour atteindre Bukavu, le M23 devrait s’emparer d’abord de Kavumu, où se trouve l’aéroport de la ville, et vaincre les troupes burundaises qui ont été déployées pour renforcer les lignes congolaises.
L’avancée sur Bukavu intervient alors que le M23 semble avoir consolidé ses positions à Goma, la principale ville de l’est de la RDC, dont le contrôle marque une nouvelle escalade dans un conflit qui dure depuis trois décennies.
Seuls quelques coups de feu sporadiques dans des quartiers périphériques ont été entendus mercredi matin, selon des habitants.
Les combattants du M23 se sont emparés mardi de l’aéroport international de la ville, capitale du Nord-Kivu et centre logistique crucial pour acheminer de l’aide humanitaire aux millions de personnes déplacées par les affrontements dans la région.
Les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, situées dans l’est du Congo, sont toutes deux riches en mines, notamment en coltan, utilisé dans les smartphones.
Le bilan des combats est inconnu. Un porte-parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies a déclaré mardi que selon les employés de l’Onu sur place, les hôpitaux de Goma sont submergés de blessés et de « nombreux corps » jonchent les rues de la ville.
« On peut entendre des coups de feu sporadiques dans les environs. Ce sont certainement des wazalendo », a déclaré un habitant du quartier de Majengo, dans le nord de Goma, en faisant référence aux miliciens alliés depuis 2022 aux forces gouvernementales congolaises.
L’assaut lancé sur Goma a été condamné par la communauté internationale qui appelle à un cessez-le-feu. Les Etats-Unis ont demandé mardi au Conseil de sécurité des Nations unies d’envisager des mesures non spécifiées pour arrêter l’offensive. L’Union africaine a exigé le retrait immédiat des miliciens du M23 des zones qu’ils occupent.
Analystes et diplomates doutent cependant que les grandes puissances exerceront cette fois une forte pression sur le Rwanda, considéré comme un partenaire stable dans la région.
Dans un message sur le réseau social X, le président rwandais Paul Kagame a dit être convenu de la nécessité d’un cessez-le-feu lors d’une conversation téléphonique avec le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio.
Ce dernier s’est dit « profondément préoccupé » par cette escalade et a réclamé le respect de l’intégrité territoriale souveraine de la RDC, selon le département d’Etat.
La Communauté des Etats d’Afrique de l’Est, à laquelle appartiennent la RDC et le Rwanda, devrait se réunir mercredi soir en urgence. Selon une source gouvernementale rwandaise, Paul Kagame s’y rendra. Son homologue congolais Félix Tshisekedi ne devrait pas y participer, selon une source à la présidence et un diplomate régional.
Félix Tshisekedi devrait s’adresser à la nation congolaise dans la journée.
SOLDATS DÉSARMÉS
La RDC, un pays de plus de 100 millions d’habitants et d’une taille à peu près équivalente à celle de l’Europe occidentale, compte plus de 100 groupes armés. Parmi eux, les rebelles du M23 ont repris les armes en 2022, dix ans après une précédente insurrection contre le gouvernement pendant laquelle ils s’étaient déjà brièvement emparés de Goma.
Ces dernières semaines, ils ont rapidement progressé dans la province du Nord-Kivu, à la frontière avec le Rwanda, avant de se rapprocher de Goma, centre vital pour le commerce des minerais de tantale et d’étain, qui sont utilisés dans les téléphones et les ordinateurs.
L’offensive vers Goma est la dernière réplique en date du génocide des Tutsis par des Hutus au Rwanda en 1994, le M23 étant un mouvement à dominante tutsie affirmant défendre les Tutsis de l’est de la RDC.
Bertrand Bisimwa, qui dirige la branche politique du M23, a déclaré mercredi aux premières heures dans un message sur X que les dernières poches de résistance à Goma avaient été « maîtrisées » par les combattants du mouvement rebelle.
Une vidéo diffusée mardi, que Reuters n’a pas été en mesure d’authentifier, montrait les images de centaines de soldats et miliciens gouvernementaux désarmés assis sur la pelouse d’un stade.
Les forces congolaises n’étaient plus visibles dans le centre-ville mercredi et un journaliste de Reuters a vu des combattants du M23 patrouiller à la frontière avec le Rwanda et couper les chaînes et les cadenas qui barraient la route aux piétons et aux véhicules.
Le gouvernement de RDC et le chef de la Monusco, la mission de l’Onu dans le pays, déclarent que les troupes rwandaises sont présentes dans la ville en soutien du M23.
Kigali, qui affirme se défendre contre la menace de milices congolaises, n’a pas fait de commentaire sur ce point.
« C’est comme si on vivait dans deux pays. On est au Congo et au Rwanda en même temps », a déclaré un habitant de Goma souhaitant rester anonyme.
Les quatre principaux hôpitaux de Goma ont traité au moins 760 blessés ces derniers jours, selon des sources médicales et humanitaires jointes par Reuters, qui soulignent qu’un bilan humain précis sera difficile à établir car de nombreux décès surviennent à l’extérieur des établissements.
« Les blessures sont souvent très graves. Certaines personnes meurent avant même d’arriver », témoigne le directeur d’un hôpital.
Le Bureau des affaires humanitaires de l’Onu a également dit avoir été informé de viols commis par des combattants.
DÉPART DES MERCENAIRES
Alors que les rebelles gagnaient du terrain au cours des deux dernières années, Kinshasa s’est tourné vers des sociétés militaires privées, mais les mercenaires ont semblé offrir peu de résistance lorsque le M23 a marché sur Goma.
À un poste frontière entre Goma et la ville rwandaise de Gisenyi, les journalistes de Reuters ont vu des dizaines d’hommes blancs musclés, certains en treillis, passer du côté rwandais et faire la queue pour que leurs bagages soient examinés par des chiens renifleurs de la police.
Des sources de l’Onu et des fonctionnaires rwandais ont déclaré qu’il s’agissait de mercenaires engagés par le gouvernement de la RDC.
Plusieurs d’entre eux détenaient des passeports roumains. L’un d’entre eux a déclaré à Reuters qu’il était Roumain et vivait à Goma depuis environ deux ans.
Après avoir été fouillés par des officiers rwandais, les hommes sont montés à bord d’autocars et sont repartis.
(Avec la contribution de David Lewis à Nairobi, rédigé par Hereward Holland and Aaron Ross; Jean-Stéphane Brosse et Diana Mandiá pour la version française, édité par Kate Entringer et Augustin Turpin)