A Flamanville, EDF entrevoit la fin d’un chantier semé d’embûches
Sur le site du projet de réacteur nucléaire de type EPR d’EDF en Normandie, une banderole tendue en haut d’un bâtiment, à proximité d’une grue et d’un réservoir d’eau en construction, fixe le cap avec une note d’optimisme : « Dernière ligne droite pour démarrer Flamanville 3 en toute sécurité, en toute sûreté. »
Alors que l’EPR doit commencer à produire de l’électricité sur le réseau fin 2023, l’électricien public et l’Etat français, son actionnaire à 84%, espèrent qu’aucune nouvelle difficulté ne viendra entraver le bon démarrage du réacteur, qui accuse déjà plus de dix ans de retard et des milliards de surcoûts.
« Je sens aujourd’hui une effervescence qui commence à apparaître sur le terrain avec des gens qui voient la dernière ligne droite. On est dans le sprint final et avec chaque semaine qui passe on sent cette tension positive qui monte », déclare Alain Morvan, qui dirige le projet depuis début 2020.
« Tout le monde attend la fin du chantier de l’EPR (…). Je pense que c’est bien pour l’industrie française et c’est bien pour EDF qu’on finisse ce chantier-là qui a rencontré des difficultés », a-t-il également dit à Reuters, mardi, à l’occasion d’une visite de presse.
Situé au pied d’une falaise de granite qui surplombe La Manche, au bout d’une zone de bocage normand parsemée de pylônes électriques, le projet d’EPR Flamanville 3 devait être la vitrine de la relance du nucléaire français grâce à un modèle de réacteur plus sûr, plus puissant et plus durable qui permettrait de renouveler un parc vieillissant et de viser de nouveaux marchés à l’international.
Au lieu de cela, il est devenu le symbole de lourdes difficultés qu’EDF s’efforce de corriger et qui n’ont pas dissuadé Emmanuel Macron d’annoncer, en février, un programme estimé à 52 milliards d’euros pour construire en France six réacteurs de type EPR 2 – une version présentée comme plus simple et moins chère à construire – avec la possibilité de huit réacteurs supplémentaires.
NE RIEN « LAISSER DE CÔTÉ »
Cette annonce a eu lieu deux semaines avant l’invasion russe de l’Ukraine, venue aggraver la crise et la flambée de l’énergie en Europe.
Le chef de l’Etat, réélu ensuite au mois d’avril, a ainsi demandé à EDF de jouer un rôle majeur dans la réduction des émissions de CO2 du pays et dans sa sécurité d’approvisionnement en prolongeant également autant que possible l’exploitation de ses centrales nucléaires existantes, qui ont assuré 69% de la production d’électricité du pays en 2021.
L’EPR de Flamanville, qui pourra produire à pleine puissance la quantité annuelle d’électricité nécessaire à une ville comme Paris, était estimé à trois milliards d’euros et devait démarrer en 2012 lors de l’annonce du projet, en 2004.
Mais des problèmes de compétences, d’organisation, de suivi du chantier et de qualité de fabrication de certaines pièces, dans un contexte d’exigences de sûreté accrues, ont entraîné de multiples retards et dérives budgétaires du projet.
Selon les dernières indications en date fournies par EDF, en janvier, le coût de construction de Flamanville 3 est désormais estimé à 12,7 milliards d’euros et le chargement de son combustible, l’une des dernières étapes avant qu’il ne produise de l’électricité, doit intervenir au deuxième trimestre 2023.
Des réparations de soudures constituent la dernière difficulté majeure en date du projet et mobilisent aujourd’hui près de 800 personnes, sur un total de quelque 3.000 intervenants présents sur le site. Sur 122 soudures défectueuses, 60% ont été remises en état et une cinquantaine restent donc à reprendre.
« J’ai la faiblesse de croire qu’on suffisamment analysé la situation pour ne plus avoir de surprises. C’est important qu’on finisse sans rien laisser de côté, avec la qualité maximale et dans les délais », a déclaré Alain Morvan.
LES VOISINS SURVEILLENT
Le projet est scruté par les voisins européens de la France. En Grande-Bretagne notamment, où EDF construit deux EPR à Hinkley Point – également en retard et plus chers que prévu -, mais aussi dans des pays transfrontaliers comme l’Italie et l’Allemagne, qui comptent sur les exportations d’électricité de l’Hexagone.
EDF est confronté à des difficultés structurelles de financement incitant le gouvernement à envisager une renationalisation complète du groupe, qui serait réorganisé en profondeur après une première tentative mise en suspens l’été dernier. Selon des sources interrogées par Reuters, l’opération pourrait passer par un rachat des actions détenues par les actionnaires minoritaires.
Le groupe subit également l’indisponibilité d’environ la moitié de son parc nucléaire historique en raison notamment de problèmes de corrosion sur certains réacteurs qui l’ont conduit à revoir plusieurs fois à la baisse ses prévisions de production. L’impact sur son bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements (Ebitda) est estimé à 18,5 milliards d’euros environ cette année.
EDF doit aussi faire face à la décision du gouvernement de l’obliger à céder davantage de nucléaire à bas prix à ses concurrents pour limiter la hausse des tarifs de l’électricité, une mesure qui risque d’être reconduite pour 2023 et dont l’impact sur son Ebitda 2022 atteint pour sa part quelque 10 milliards d’euros.
Alors que le groupe a dû procéder au début du printemps à une augmentation de capital de 3,16 milliards d’euros, à laquelle l’Etat a souscrit à hauteur de 2,7 milliards environ, le ministre français de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a déclaré mardi au sujet d’une possible nationalisation que « toutes les options sont sur la table ».
« L’opinion générale sur EDF s’améliore grâce à une série de signaux positifs et de commentaires des autorités françaises sur le potentiel croissant d’une nationalisation », selon Nicolas Bouthors, analyste chez AlphaValue.
« Un rachat des minoritaires avec une prime significative par rapport à la valeur actuelle suscite à nouveau l’intérêt spéculatif des investisseurs après qu’ils ont abandonné l’action en raison de problèmes opérationnels et réglementaires. »
(Avec Valentine Baldassari à Gdansk et Silvia Aloisi ; édité par Sophie Louet)