Un imbroglio gouvernemental derrière l’amendement « huile de palme »?
À l'heure de l'intelligence artificielle, l'accès à des faits vérifiables est crucial. Soutenez le Journal Chrétien en cliquant ici.Des accrocs entre les ministères des Comptes publics et de la Transition écologique, ajoutés à la pression de Total, ont favorisé l’imbroglio sur l’amendement controversé « huile de palme » doublement voté le mois dernier à l’Assemblée nationale, selon des informations obtenues par Reuters.
D’après plusieurs sources, le premier vote sur ce sujet sensible s’est fait « dans le dos » d’Elisabeth Borne, qui a oeuvré pour obtenir une deuxième délibération aboutissant au final au maintien de l’huile de palme sur la liste des biocarburants taxés à partir du 1er janvier 2020, au grand dam de Total qui avait milité pour un sursis jusqu’en 2026.
Retour sur « une histoire de fous », selon l’expression de Joël Giraud, rapporteur général (La République en marche, LaRem) de la commission des Finances, qui témoigne des tiraillements entre deux ministères essentiels de la galaxie Emmanuel Macron, écartelée entre ses promesses « vertes » et son souci d’encourager l’activité économique.
L’après-midi touche à sa fin, ce jeudi 14 novembre à l’Assemblée, quand vient le moment d’examiner l’amendement numéro 2901 au projet de loi de finances 2020 défendu par le député MoDem Mohamed Laqhila.
L’élu reste muet sur le contenu du texte rédigé par ses soins, rejeté en commission mais sur lequel Gérald Darmanin annonce un avis « favorable » du gouvernement, conduisant à un vote automatique de la majorité en sa faveur.
« OH, LE PIÈGE ! »
« Qui est pour ? Qui est contre ? Il est adopté », annonce le président de séance, le socialiste David Habib, élu des Pyrénées-Atlantiques.
Une vingtaine de secondes ont suffi pour repousser la fin de l’exonération fiscale de l’huile de palme, accusée de participer à la déforestation de la planète.
Sur son banc, Joël Giraud reste bouche bée. « Je n’étais pas au courant de cet avis favorable. Je me dis ‘Oh le piège’ ! », a-t-il raconté à Reuters.
Les parlementaires s’attendaient plutôt à un « avis de sagesse », plus neutre, qui laisse le dernier mot aux députés. Selon deux sources gouvernementales ayant requis l’anonymat, c’est bien un tel avis qui avait été tranché à Matignon lors d’une réunion la veille du vote, le mercredi 13 novembre.
Interrogé par Reuters, l’entourage d’Edouard Philippe assure pour sa part que « l’avis favorable exprimé par Gérald Darmanin est la position du gouvernement, arbitrée par Matignon ».
Deux versions s’opposent donc sur cet arbitrage, dont Reuters n’a pu consulter de trace écrite.
« Pour moi il est clair que Gérald Darmanin a agi dans le dos de Borne », estime une source parlementaire, approuvée par une autre selon laquelle Elisabeth Borne « s’est fait bien avoir et était bien contente d’avoir une deuxième délibération ».
L’entourage du ministre des Comptes publics se défend quant à lui de toute manoeuvre.
« Ce n’est pas la position de Gérald Darmanin qui a été défendue le 14 novembre, mais la position du gouvernement », dit-il, faisant valoir, à l’instar de celui du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, « une position cohérente avec celle de l’année dernière » et « le respect des engagements de l’Etat vis-à-vis d’une entreprise ».
Aussitôt prévenue du vote controversé, Elisabeth Borne s’assure auprès de parlementaires qu’un second vote aura bien lieu, a raconté à Reuters un témoin d’un échange en ce sens.
L’affaire enflamme les écologistes sur les réseaux sociaux autant qu’une majorité saisie du « sentiment extrêmement désagréable de s’être bien fait avoir », écrit sur Twitter Barbara Pompili présidente (LaRem) de la commission Développement durable.
Vendredi matin 15 novembre, la majorité décide de procéder à un nouveau vote, approuvée par Matignon qui juge utile de « permettre aux parlementaires de nourrir un débat à la hauteur de l’enjeu », dit l’entourage d’Edouard Philippe.
Le texte disputé a été rédigé par Mohamed Laqhila, allié à des élus de territoires où Total est présent, dont les voisins de la bioraffinerie de La Mède (Bouches-du-Rhône) utilisant de l’huile de palme, site dans lequel Total a investi 300 millions d’euros pour sauver 250 emplois en vertu d’un accord passé avec le gouvernement.
CONFUSION
Dans un message à Reuters, le député explique avoir proposé « un compromis » cohérent avec son souci d’oeuvrer pour le « développement économique de notre pays en général et du département en particulier ».
« L’amendement reprend une partie des arguments développés par le groupe Total, preuve qu’ils ont trouvé un écho favorable auprès de certains députés », note Total, où une source reconnaît que des représentants du groupe ont rencontré députés, ministres et Premier ministre à ce sujet.
Pour échapper à une taxe qu’il évalue à 80 millions d’euros par an, le groupe dit avoir entrepris « pendant toute l’année 2019, en toute transparence, de rencontrer des parlementaires français, afin de les sensibiliser aux enjeux complexes de ce dossier ».
Interrogé par Reuters sur cet épisode, l’Elysée n’a fait aucun commentaire et renvoyé vers Matignon.
Un proche du ministre Bruno Le Maire a reconnu pour sa part une certaine confusion. « On n’a pas bien travaillé avec les parlementaires. On aurait dû bâtir un amendement plus clair, la communication s’est mal passée entre les différents acteurs. »
Le service de presse d’Elisabeth Borne affirme quant à lui n’avoir rien à dire « sur ce qui relève de discussions interministérielles internes ». Une source gouvernementale vante « la loyauté » de la ministre, qui n’a pas fait part publiquement de son courroux, et « son habileté, puisqu’au final, le vote est allé dans son sens ».
Le 15 novembre au soir, Elisabeth Borne est venue elle-même défendre du bout des lèvres l’amendement dans l’hémicycle en présence de Gérald Darmanin, proposant une adoption « à titre d’attente » du texte, avant la création d’un groupe de travail. Le vote qui a suivi fut sans appel : 58 voix contre et deux pour : Eric Woerth (LR) et Mohamed Laqhila.
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