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La mission de l’Onu sur les crimes de l’EI en Irak va prendre fin

par Timour Azhari

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BAGHDAD (Reuters) – Une initiative des Nations unies visant à aider l’Irak à enquêter sur les crimes commis par le groupe Etat islamique (EI) va prendre fin avant d’avoir pu mener à bien l’ensemble de ses recherches, ses relations avec le gouvernement irakien s’étant dégradées.

« Le travail est il terminé? Non, clairement non », explique à Reuters Christian Ritscher, qui dirige l’équipe d’enquêteur des nations unies (Unitad). « Il nous faut plus de temps : notre dissolution est prévue en septembre 2024 et nous n’aurons pas exploré l’ensemble des pistes d’ici là », ni terminé d’autres projets, comme l’archivage des preuves récoltées.

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En septembre 2023, le Conseil de sécurité de l’Onu n’avait renouvelé que pour un an le mandat de l’Unitad, à la demande de l’Irak, et alors que la plupart des donateurs de la mission s’attendaient à ce qu’elle soit prolongée pour plusieurs années.

L’Unitad a contribué à au moins trois condamnations pour génocides en Allemagne et au Portugal, et les observateurs critiques de la position irakienne estiment qu’il sera plus difficile de punir les membres de l’EI une fois l’initiative dissoute.

Ces mêmes observateurs soulignent par ailleurs que l’Irak semble réticente à punir les membres de l’EI pour ces crimes, la majorité des condamnations en Irak ne sanctionnant que l’appartenance à l’organisation, et non des crimes plus spécifiques comme l’esclavage ou les abus sexuels.

L’Unitad n’est plus nécessaire et n’a pas réussi à collaborer efficacement avec les autorités irakiennes, estime Farhad Alaadin, conseiller aux Affaires étrangères du premier ministre.

« De notre point de vue, la mission est terminée et, si nous saluons le travail accompli, il est temps de passer à autre chose », a-t-il dit à Reuters. La mission « n’a pas transmis ses preuves malgré des demandes répétées » et elle doit « le faire avant sa dissolution ».

« SUJET POLITIQUE »

La question du transfert d’information est au cœur des tensions entre la mission et l’Irak.

L’Unitad a été créée afin d’aider l’Irak à poursuivre les membres de l’EI pour crimes de guerre, génocide et crimes contre l’humanité. Cependant, le pays n’a pas mis en place le cadre légal qui aurait permis de les juger.

Par ailleurs, l’Irak applique toujours la peine de mort, contraire aux principes de l’Onu, ce qui explique la réticence de l’Unitad à partager ses preuves, selon six sources proches du dossier.

Christian Ritscher explique que le sujet de la peine de mort n’a pas encore été abordé avec les autorités irakiennes, car la mise en place d’une législation adaptée aux crimes de l’EI est un sujet plus pressant.

La position de l’Unitad est donc inconfortable : le groupe rassemble des preuves en Irak qui alimentent des procès à l’étranger.

Selon neuf diplomates et sources autorisées, les problèmes tiennent aussi à d’autres facteurs.

Christian Ritscher, un procureur allemand expérimenté, n’a pas pris suffisamment en compte le contexte politique irakien, ce qui a au fil du temps abîmé la relation entre les deux parties.

« La peine de mort a toujours été un problème avec l’Unitad. Son mandat est tiré par les cheveux mais beaucoup d’observateurs espéraient que la mission fonctionnerait », constate un diplomate, qui évoque le décalage entre les objectifs et les attentes.

« Les responsables à la tête de la mission n’ont pas les compétences politiques nécessaires alors qu’en Irak, tout est politique ».

Un Porte-parole d’Unitad a répondu que la mission savait depuis le début

Selon un porte-parole d’Unitad, la mission savait parfaitement depuis le début qu’elle existait à la demande de l’Irak et que le système judiciaire irakien était son principal partenaire. Il a donné en exemple les dossiers judiciaires conjoints montés avec les juges irakiens ou l’exhumation de 70 charniers de victimes de l’EI.

ESPOIRS DÉÇUS

Pour de nombreuses victimes de l’EI, qui se méfient du gouvernement irakien, la fin de la mission est un coup dur.

« C’est très dur de se voir abandonné », résume Zina, membre de la communauté Yézidie réduite en esclavage par l’EI à 16 ans, et détenue pendant trois ans.

Les Yézidis sont une minorité religieuse issue de l’Antiquité jugée impie par l’EI, qui voit dans ses adeptes des adorateurs du diable. L’assaut de l’EI contre la communauté a été qualifié de génocide par les Nations unies.

Zina s’exprimait par téléphone depuis un camp de réfugié proche de sa région natale de Sinjar, dans le nord-ouest de l’Irak, où la situation sécuritaire et l’absence d’aide du gouvernement l’empêchent de rentrer.

La jeune femme explique avoir été physiquement et sexuellement abusée durant sa détention, insistant sur le fait que les membres de la famille qui l’ont réduite en esclavage devraient être poursuivis pour ces crimes, et pas simplement pour leur appartenance à une organisation terroriste.

« Nous comptions sur l’Unitad pour obtenir un peu de justice en Irak, mais le monde nous a laissé tomber », dit-elle.

Fahrad Alaadin assure entendre la position critique des citoyens irakiens et rappelle que son gouvernement est plus respectueux des droits des minorités que les précédents.

Christian Ritscher se déclare sensible aux inquiétudes des victimes, mais ne « partage pas les jugements très négatifs sur le système judiciaire irakien ».

L’une des principales questions porte désormais sur la masse de preuves accumulées par l’Unitad.

Certains activistes, diplomates et victimes craignent que ces preuves ne soient utilisées par l’Irak dans le cadre de procès bâclés pouvant conduire à la peine de mort. Mais le travail de la mission pourrait se révéler essentiel à la condamnation de membres de l’EI.

« Nous voulons nous assurer que notre travail ne sera ni perdu, ni stocké quelque part au fin fond du sous-sol d’un bâtiment de l’Onu », assure Christian Ritscher.

Razaw Salihy, spécialiste de l’Irak chez Amnesty International, évoque des manquements dans le système judiciaire irakien « qui a condamné des milliers d’hommes et de garçons à la peine de mort, après des aveux arrachés par la torture et les mauvais traitements ».

L’Irak nie recourir à la contrainte pour obtenir des aveux.

Le pays, ajoute Razaw Salihy, doit mettre en place une loi permettant de juger les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, mais la volonté politique manque.

« Cela pourrait devenir la boîte de Pandore. Un mécanisme permettant de poursuivre les membres de l’EI pourrait être utilisé pour poursuivre les membres des milices et des groupes armés irakiens », conclut-elle.

(Reportage Timour Azhari, version française Corentin Chappron, édité par Kate Entringer)

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